Pourtant, les paysages n’en parlent plus, de ces souffrances endurées à l’Offensive de 44-45. Les villages saccagés se sont cicatrisés ; les mémoires mutilées se sont tues pour la plupart : celles de ces milliers de civils, et celles de tous ces Gis, de la 83^ème D.I. notamment, qui s’étaient peuplées d’ineffaçables cauchemars. Il reste les monuments, pour y méditer en silence.

Non, en ce lumineux dimanche d’automne, le soleil inonde tant le paysage de sa clarté, qu’il en imprègne même le cœur des vingt marcheurs présents. Les Fagnes de la Province du Luxembourg, proches de la Baraque de Fraiture qui en marque le sommet, révèlent un charme inouï malgré leur moindre extension. On file vers l’horizon, noirci en ses vallées pleines de promesses, d’épicéas sans nombre ; on découvre en clairière les villages de Petites Tailles (600 m), Bihain ou Ottré ; on lit dans les vieilles maisons aux larges pignons aplatis, l’histoire de leurs épais murs d’arkose, celle des encadrements de leurs fenêtres ou des chérubins de leurs toits. Comment ne pas s’émouvoir face à l’art funéraire local, auquel la réputée pierre d’Ottré offrit jadis un excellent substrat d’où sortiraient des mains d’artisans comme Quirin Piette, des merveilles remplies de pieux symboles ? Mais les innombrables carrières de jadis s’évanouissent maintenant dans d’impénétrables broussailles, quand des mains sacrilèges n’en comblent pas les excavations pourtant classées.

Le chemin s’élève quasi imperceptiblement, élargissant le panorama vers les collines qui dominent Lierneux. Puis, on aborde enfin la Grande Fagne de Bihain, forte de 280 hectares. Ce sont les caillebotis, les sentiers de lisières, et le mirador du haut duquel les regards peuvent s’évader vers des horizons irréels, bien au-delà des bruyères bleutées qui descendent lentement dans la vallée entre saules, pins et bouleaux égarés au milieu de la lande.

Pour bien apprécier une région, ne faut-il pas la voir avec le cœur, comme le disait si bien Saint Exupéry ?

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C. Deroanne

Photos : I. Buisseret