Les tourbières de transition et tremblantes

Eclatante de beauté lorsque, au printemps, les soies blanches des linaigrettes s'offrent à la caresse du vent, la tourbière de transition vibre d'une vie précieuse et fragile: ce sont les ondes provoquées par le déplacement d'une larve aquatique que guette la dolomède, postée sur les sphaignes; c'est le glissement furtif d'une couleuvre à collier qui ondule dans les carex;

c'est l'envol brusque d'un vanneau huppé qui vient ensuite, téméraire et intrépide, crier sa colère au-dessus de l'intrus;

c'est surtout le bruissement des ailes hyalines des libellules qui survolent la surface de l'eau, infatigables. Qu'elles chassent une proie ou recherchent un partenaire, leur virtuosité est réellement fantastique: vol surplace, brusque accélérations, virevoltes impeccables, quel merveilleux ballet !

Venez voir! Approchez! Attention, pas trop près… ce milieu est extrêmement sensible…. 
Photo : Annick Pironet - Linaigrette à feuille étroite - Eté 2006


Nommée tourbière de transition ou tremblante, cet habitat peut présenter différents types. Le plus remarqué, sinon le plus remarquable, dans notre région, est la tourbière formée d'un radeau de sphaignes et de linaigrettes. Mais ce sont aussi les types d'habitat où l'on trouvera ces tapis flottant formés par les entrelacs des rhizomes du superbe trèfle d'eau ou du plus discret comaret, sur lesquels les sphaignes se développent, ou encore ces gouilles, petites dépressions dans les tourbières, où les carex (aussi nommés laîches), et notamment l'élégante laîche à bec, s'installent.

Ces radeaux végétaux flottent à la surface de l'eau, qu'ils masquent parfois totalement, et tremblent sous le poids, raison du nom de ces tourbières.

Sur le Haut Plateau fagnard, ces tourbières sont un habitat intermédiaire entre les bas-marais acides et la tourbière haute active. En effet, dans l'évolution des tourbières, le bas-marais représente le stade initial, avec une végétation qui se forme sous le niveau de la nappe. La tourbière de transition est un stade intermédiaire avec une activité turfigène au niveau de la surface de l'eau, avant le stade final qu'est la tourbière haute dans laquelle les végétaux se trouvent perché au-dessus de la nappe.

Il s'agit donc bien d'une tourbière de transition à la dynamique très lente. L'eau y est très acide, avec différents degrés d'acidité selon le stade d'évolution atteint.

La richesse faunistique de ces milieux est surtout remarquable au niveau des odonates. Libellules et demoiselles animent ces formations de leur danse aérienne incessante et aux côtés des petites nymphes au corps de feu, des libellules à quatre taches ou des aeschnes bleues, on trouvera des espèces qui marquent une préférence pour les milieux tourbeux –tyrphophiles-, dont le sympetrum noir, ou l'aeschne des joncs ou des espèces tyrphobiontes, strictement liées aux tourbières, comme la leuccorhine douteuse, ou l'aeschne subarctique devenue extrêmement rare en Wallonie.


Le sympetrum noir, Sympetrum danae, est une petite libellule qui pond même dans de petits trous d'eau qui s'assèchent en été. Les œufs restent dans la tourbe humide jusqu'au printemps suivant. Les larves auront alors un développement assez rapide (deux mois). Seuls les mâles matures sont presque entièrement noirs, les femelles ou les mâles "frais" étant colorés de jaune.


L'aeschne des joncs, Aeshna juncea, insère généralement ses œufs dans les plantes, sous l'eau, et notamment les carex. L'éclosion ne se fera qu'au printemps suivant.


L'aeschne subarctique, Aeshna subarctica elisabethae,ressemble très fort à l'aeschne des joncs qu'elle côtoie souvent. Elle pond dans les sphaignes très humides.


La leucorrhine douteuse, Leucorrhinia dubia, est une relicte glaciaire qui se complait dans les eaux très acides. La femelle pond en vol, juste à la surface de l'eau. Les œufs tombent sur le fond et éclosent après quelques semaines. La larve mettra plusieurs années à se développer.

Quelques plantes indicatrices.


Les tourbières de transition et tremblantes sont caractérisées par le présence de nombreuses espèces de cypéracées et notamment les carex, identifiables à leur tige souvent trigone et à leur fruit en forme de petite outre (utricule)..



La linaigrette à feuilles étroites, Eriophorum angustifolium, reconnaissable en toutes saisons à ses feuilles aux pointes rougeâtres, porte plusieurs épis fructifères. Les graines seront dispersées par le vent, portées par une légère soie blanche. Voir fiche botanique.


Le comaret, Comarum palustre, aux tépales rougeâtres qui se referment sur un fruit rappelant celui de la fraise ou le trèfle d'eau, Menyanthes trifoliata,aux jolies fleurs blanches cillées mais très éphémères (voir article B. Rauw in Hautes-Fagnes 217 – 1995/1) peuvent caractériser certaines de ces formations

Si l'aspect de ces tourbières est très variable, leur taille et leur origine le sont tout autant. Elles peuvent être très petites, occupant une dépression dans une tourbière haute, s'installant dans une ancienne fosse d'exploitation ou dans un étrépage.

Elles sont parfois plus étendues: dans les lithalses, par exemple, elles représentent encore un milieu naturel, que l'homme n'a pas modifié. Là, elles présentent souvent une mosaïque de micro-habitats avec des buttes de sphaignes qui émergent, des zones colonisées par des arbustes, des zones de tourbe nue aussi où le rossolis (aussi nommé drosera), étalera ses feuilles perlées de pièges.

Mesures favorables aux tourbières de transition et tremblantes.


Cet habitat, à l'évolution très lente, ne requiert a priori pas d'intervention. Rare, avec une richesse patrimoniale élevée, il convient cependant de le protéger. La plus grande menace réside en une perte du niveau quantitatif ou qualitatif des apports d'eau. Il faut donc proscrire tout drainage ou boisement et éviter les apports d'engrais ou autres produits chimiques à proximité. Enfin, cet habitat étant très sensible au tassement, il est préférable d'éviter de le piétiner. Dans le cadre des récents projets « LIFE », de grands travaux de restauration comportant l’édification de digues et l’aménagement de plans d’eau de faible profondeur permettront certainement, à terme, de reconstituer des tourbières de transition. Ces travaux sont bien visibles autour des principales zones tourbeuses en Fagne Wallonne, Cléfay, Misten, etc…

Texte et photos: Annick Pironet
Extrait de "Hautes Fagnes"

Bibliographie :
J.Lambinon, L. Delvosalle, J. Duvigneaud – Nouvelle Flore de la Belgique, du Grand-Duché de Luxembourg, du Nord de la France et des Régions voisines – Cinquième édition – Edition du Jardin botanique national de Belgique – 2004
J-C. Rameau, C. Gauberville , N. Drapier – Gestion forestière et diversité biologique – Wallonie - Grand-Duché de Luxembourg – 2000
J. d'Aguilar, J.-L. Dommanget – Guide des libellules d'Europe et d'Afrique du nord – Delachaux et Niestlé – 1998
O. Manneville, V. Vergne, O. Villepoux - Le monde des tourbières et des marais – Delachaux et Niestlé – 1999

Sites Internet consultés

Amisdelafagne.be - Juillet 2006

http://www.gomphus.be – Août 2006

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