Les tourbières boisées

De tous les habitats menacés que l’Europe veut protéger au travers de cet immense réseau nommé Natura 2000, celui-ci est sans doute mon préféré. Elles sont si belles, ces forêts ! Forêts ? On est bien loin de ces pessières, de ces hêtraies où le feuillage masque le ciel, où les fûts, droits, s’élèvent à l’assaut des nues. Non. Ici, les troncs sont tordus, premières victimes de ce vent que rien n’arrête, torturés, déformés au point que nul n’y a son jumeau.

Ici, les arbres sont petits, rabougris, mal nourris par ce sol maigre à l’acidité élevée. Ici la lumière passe.

Légèrement filtrés en été, les rais du soleil, souvent rares, d’autant précieux, percent facilement et ricochent, heureux, sur les troncs blancs, éblouissant le promeneur qui regarde.

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Rares, ces tourbières boisées sont souvent réduites à de maigres bosquets. Leur place est restreinte, dans l’espace et dans le temps, entre tourbière et forêt. Que la couche de tourbe soit épaisse, et les racines des arbres ne parviennent plus jusqu’au sol, avare mais néanmoins nourricier. Que la couche de tourbe soit mince, ou absente, et d’autres essences s’installent. Les boulaies sur tourbe ne peuvent s’imposer qu’en périphérie, en transition…

Tel semble être le destin du genre « bouleau ». Pionnier, il germe là où les autres ne peuvent s’implanter. Ses graines, innombrables et légères, le dispersent loin, et il peut ainsi coloniser très vite un terrain dénudé où nul autre végétal ne s’est encore installé. Pionnier, il enrichit ce sol qui le nourrit et se sacrifie car il s’efface dès qu’un concurrent s’impose.

Les boulaies pubescentes tourbeuses. 91D1.

De faibles surfaces dès l’origine, ces petits bois clairs, bas, dominés par le bouleau pubescent, ont encore vu leur nombre diminuer suite à l’assèchement par drainage des milieux tourbeux. Devenu très rare, cet habitat a un intérêt patrimonial élevé. C’est l’habitat potentiel d’oiseaux menacés comme la gélinotte des bois, ou d’un petit mammifère, peu répandu : le muscardin. En hiver, le tétras lyre se nourrit des chatons du bouleau pubescent et cette ressource est vitale pour lui en période de neige.

Mais c’est là aussi que l’on surprendra le pouillot siffleur, au printemps, ou la mésange bleue, la mésange boréale, en toutes saisons, là encore que s’arrêtera le gobemouche noir en migration ou le sizerin flammé en hiver.

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Quelques plantes indicatrices :

Le genre bouleau est représenté, sur le Haut Plateau, par deux espèces et une sous-espèce: le bouleau verruqueux, Betula pendula, le bouleau pubescent, Betula pubescens et le bouleau des Carpates, Betula pubescens subsp. Glutinosa, ces deux derniers étant caractéristiques des milieux tourbeux, des sols très acides. La détermination des espèces n’est pas évidente, d’autant que les hybridations sont fréquentes.

Parfois, l’un ou l’autre chêne pédonculé, aulne glutineux ou sorbier des oiseleurs accompagnent le bouleau avec, peu nombreux, quelques arbustes dont le saule à oreillettes ou la bourdaine.

Par contre, la strate herbacée, basse, est bien développée, favorisée par la lumière de ces bois clairs. Outre les polytrics et les sphaignes, on y trouvera des fougères mais aussi des graminées et des arbrisseaux.

La molinie, Molinia caeruleae, souvent dominante, habille, en automne, les boulaies d’un tapis de feuilles blondes.

La myrtille de loup, Vaccinium uliginosum, est reconnaissable à ses feuilles d’un vert bleuté unique et à ses rameaux bruns. Pour en savoir plus : Bernard Rauw. "Hautes Fagnes" n° 215 - 1994-3

La trientale d’Europe, Trientalis europaea, célèbre symbole de la Réserve Naturelle des Hautes-Fagnes, est une espèce montagnarde. Pour en savoir plus : Bernard Rauw "Hautes Fagnes" n°226 - 1997/2

Mesures favorables aux tourbières boisées.

Les boulaies pubescentes tourbeuses font partie des complexes tourbeux au même titre que les tourbières hautes, tourbières de transition ou landes tourbeuses. Tous ces habitats forment une mosaïque compliquée, serrée et la gestion de l’un influence le développement de l’autre. Ces mesures de gestion doivent donc être le fruit d’une réflexion globale sur l’écocomplexe tourbeux. Ainsi, si la suppression des drainages et l’enlèvement des semis d’épicéas sont des actions positives pour l’ensemble des milieux tourbeux, favoriser le développement d’une boulaie peut, par endroit, amener à une dégradation accentuée d’une tourbière haute active. C’est alors un choix à faire. En Fagne wallonne, dans le courant de l’année 2005, une partie des bouleaux, proches de la tourbière haute, ont été cerclés, sacrifiés à cet autre habitat rare, qu’est la tourbière haute active. Le cerclage est une opération délicate, évitant une modification brutale du milieu mais nécessitant un choix précis de la date d’exécution afin de ne pas provoquer une production intensive de graines.Néanmoins, cet habitat forestier qu’est la tourbière boisée, apporte, aux milieux tourbeux, une grande diversité biologique et, le plus souvent, bénéficiera d’une gestion conservatoire appropriée : maintient de classes d’âge variées, trouées et clairières…

Où voir les boulaies pubescentes tourbeuses ?

Bien que de faibles surfaces, ces tourbières boisées se rencontrent en maints endroits du Haut Plateau. Les plus étendues et faciles d’accès sont sans aucun doute celles des fagnes de l’Est : Allgemeines Venn, Steinley et Kutenhart ; celles du Bongard sont aussi remarquables.

Les Amis de la Fagne et les tourbières boisées.

Notre Réserve Naturelle de Nampîre héberge une boulaie tourbeuse de toute beauté, dégagée par nos soins des épicéas qui la menaçaient. Aujourd’hui, grâce au travail de nos volontaires, les bouleaux pubescents retrouvent autour d’eux le paysage ouvert qui leur sied si bien. A so’l fetchereu aussi, sur le versant du Trô Marets, la tourbière boisée a bénéficié de l’action musclée de l’équipe des opérations de sauvegarde ; encore jeune, cette boulaie deviendra sans aucun doute, avec la maturité, un des joyaux du paysage fagnard. Plus récemment, « Les Amis de la Fagne » ont hérité de la gestion de plusieurs hectares de boulaies dans la vallée de l’Eau Rouge : ce sont des sites qu’il leur appartiendra d’entretenir contre toute dégradation, notamment contre les semis éoliens d’épicéas.

Bibliographie :

J.Lambinon, L. Delvosalle, J. Duvigneaud – Nouvelle Flore de la Belgique, du Grand-Duché de Luxembourg, du Nord de la France et des Régions voisines – Cinquième édition – Edition du Jardin botanique national de Belgique – 2004

J-C. Rameau, C. Gauberville, N. Drapier – Gestion forestière et diversité biologique – Wallonie - Grand-Duché de Luxembourg - 2000

C Keulen et J-C Ruwet - Le Tétras lyre, espèce emblématique des fagnes - MRW

R. Collard, V. Bronowski - Le guide du Plateau des Hautes Fagnes– L’Octogone – 1993

J. Bastin – Les plantes dans le parler, l’histoire et les usages de la Wallonie malmédienne – Vaillant-Carmanne - 1939

Sites Internet consultés

http://mrw.wallonie.be/dgrne/sibw/legislations/consnat/plantes.html - Novembre 2005

http://home.scarlet.be/~jean17/af/affrancais/Botanique/botanique.htm - Novembre 2005

Texte et photos : Annick Pironet

Les Amis de la Fagne

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